- EAN13
- 9782072449574
- Éditeur
- Gallimard
- Date de publication
- 06/02/2020
- Collection
- Folio essais
- Langue
- français
- Langue d'origine
- français
- Fiches UNIMARC
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Autre version disponible
-
Papier - Folio 11,70
« Quand je dis que je travaille à un essai sur la vieillesse, le plus souvent
on s’exclame : "Quelle idée ! Mais vous n’êtes pas vieille ! Quel sujet
triste…" Voilà justement pourquoi j’écris ce livre : pour briser la
conspiration du silence. À l’égard des personnes âgées, la société est non
seulement coupable, mais criminelle. Abritée derrière les mythes de
l’expansion et de l’abondance, elle traite les vieillards en parias. Pour
concilier cette barbarie avec la morale humaniste qu’elle professe, la classe
dominante prend le parti commode de ne pas les considérer comme des hommes ;
si on entendait leur voix, on serait obligé de reconnaître que c’est une voix
humaine. Devant l’image que les vieilles gens nous proposent de notre avenir,
nous demeurons incrédules ; une voix en nous murmure absurdement que ça ne
nous arrivera pas : ce ne sera plus nous quand ça arrivera. Avant qu’elle ne
fonde sur nous, la vieillesse est une chose qui ne concerne que les autres.
Ainsi peut-on comprendre que la société réussisse à nous détourner de voir
dans les vieilles gens nos semblables. C’est l’exploitation des travailleurs,
c’est l’atomisation de la société, c’est la misère d’une culture réservée à un
mandarinat qui aboutissent à ces vieillesses déshumanisées. Elles montrent que
tout est à reprendre, dès le départ. C’est pourquoi la question est si
soigneusement passée sous silence ; c’est pourquoi il est nécessaire de briser
ce silence : je demande à mes lecteurs de m’y aider. » Simone de Beauvoir.
on s’exclame : "Quelle idée ! Mais vous n’êtes pas vieille ! Quel sujet
triste…" Voilà justement pourquoi j’écris ce livre : pour briser la
conspiration du silence. À l’égard des personnes âgées, la société est non
seulement coupable, mais criminelle. Abritée derrière les mythes de
l’expansion et de l’abondance, elle traite les vieillards en parias. Pour
concilier cette barbarie avec la morale humaniste qu’elle professe, la classe
dominante prend le parti commode de ne pas les considérer comme des hommes ;
si on entendait leur voix, on serait obligé de reconnaître que c’est une voix
humaine. Devant l’image que les vieilles gens nous proposent de notre avenir,
nous demeurons incrédules ; une voix en nous murmure absurdement que ça ne
nous arrivera pas : ce ne sera plus nous quand ça arrivera. Avant qu’elle ne
fonde sur nous, la vieillesse est une chose qui ne concerne que les autres.
Ainsi peut-on comprendre que la société réussisse à nous détourner de voir
dans les vieilles gens nos semblables. C’est l’exploitation des travailleurs,
c’est l’atomisation de la société, c’est la misère d’une culture réservée à un
mandarinat qui aboutissent à ces vieillesses déshumanisées. Elles montrent que
tout est à reprendre, dès le départ. C’est pourquoi la question est si
soigneusement passée sous silence ; c’est pourquoi il est nécessaire de briser
ce silence : je demande à mes lecteurs de m’y aider. » Simone de Beauvoir.
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