Que la brutalité de la première phrase de ce roman ne vous effraie pas. Si la violence est bien présente dans ce livre, la beauté du monde sauvage existe bien.
Inti Flynn est une biologiste qui, avec son équipe, conduit un programme de réintroduction des loups dans le parc naturel des Cairngorms, en Écosse. En les supprimant, les hommes ont laissé la place libre aux chevreuils qui empêchent les arbres de pousser en grignotant leurs feuilles. La lande a gagné. Le réensauvagement permettrait aux éleveurs de continuer à vivre dans le parc et lutterait contre le réchauffement climatique. Dans le parc de Yellowstone aux États-Unis, un programme semblable a été mené avec succès à la fin du 20ème siècle. Les éleveurs ne sont pas du tout favorables à ce programme. C'est le conflit entre le court et le long terme .
Inti n'est pas une femme facile à côtoyer. Elle a affronté la haine de ceux qui ont peur du loup, qui ne le connaissent pas. Elle est atteinte de synesthésie visuo-tactile, un handicap qui la fait ressentir ce que vit l'autre. "Mon cerveau recrée les expériences sensorielles des créatures vivantes, de tous les êtres humains et parfois même des animaux. Quand je vois, je ressens, et pendant quelques instants, je suis les autres, eux et moi ne faisons qu’un et leur douleur ou leur plaisir est le mien. Ça ressemble à de la magie". Inti connaît l'intime des hommes, leur âme, leur bonté ou leur inhumanité. On comprend le sens du début du livre, "On avait huit ans le jour où papa m’a coupée en deux, de la gorge jusqu’au bas du ventre" alors qu'on dépeçait un lapin devant elle.
"On" par ce qu'Inti a une sœur jumelle, Aggie, qui ne parle plus, qui vit recluse dans leur maison. Les deux sœurs communiquent, cependant, au moyen d'un langage silencieux qu'elles ont inventé. Inti espère qu'Aggie guérira du traumatisme sévère causé par des violences conjugales au contact de la nature dans laquelle elles ont vécu leur enfance.
Charlotte McConaghy insère une intrigue policière dans son roman quand Inti découvre un homme mort dans les alentours du village. Les éleveurs diront que le meurtrier est le loup. Inti n'y croit pas et cache le cadavre. Mais a-t-elle été vue le cacher ? Et qui est le meurtrier ?
Dans ce roman, nombre de clichés sont mis à mal. La cruauté du loup si on ne le connaît ni le comprend. Le caractère ombrageux et buté des éleveurs qui ne croient qu'à leur puissance sur la nature animale. Le policier Duncan n'est pas qu'un homme bourru, il connaît et a connu la violence, il comprend et aime les gens du village avec lesquels il a grandi….
De façon assumée, le roman porte un message écologique. Outre la peur que disparaisse tout être vivant qui ne soit pas de l'humanité, il pose des questions affolantes. S'isoler de la nature est-il le danger ultime ? Mène-t-il les hommes à la sauvagerie ? Être déconnecté du monde sauvage, ne plus le connaître, ne plus avoir de langage pour s'y immerger mène-t-il les hommes à la sauvagerie ? Si une meute de loups peut protéger la nature et les hommes qui y vivent, revenir dans le monde sauvage peut-il nous faire échapper à la violence, nous sauver comme l'espèrent Inti et Aggie ? Ressentir la douleur et la souffrance des autres nous rendrait-il meilleurs ? Et comment faire quand nous effrayons ceux avec qui nous devrions être en lien ? Et quand on a connu la violence des hommes, peut-on encore aimer ?
Ce roman d'une immense beauté nous fait expérimenter la force intranquille de la littérature : pouvoir vivre, le temps de la lecture et un peu plus, à la place de l'autre, qu'il soit homme ou animal.
Émouvant et grandiose roman.
Voici un recueil pas tout à fait facile à ranger dans une librairie. Est-ce un recueil de poésie ? Oui, totalement. Est-ce une biographie ? Aussi. Une histoire de l’agriculture ? Mais oui. Est-ce un essai sociologique ? Presque. Un texte politique et féministe ? Certes.
Aurélie Olivier évoque son enfance dans un milieu rural à la fin du 20e siècle, en Bretagne. En la lisant, on constate qu’elle sait raconter sans trop en dire, avec ses mots et d’une façon bien à elle, avec un humour parfois grinçant, avec des double-sens et des raccourcis.
Son « texte terroir tout-terrain » dit l’agro-alimentaire et non l’agriculture des grands-parents avec « adorables petits veaux qui viennent de naître » et « promenades en tracteur« , mais celle où « les tracteurs coûtent jusque 300000 €« , où « le crédit patates attise les appétits » [et la dépendance], qui peut « tuer deux personnes par jour« . Elle parle aussi du catholicisme encore bien présent, de cette ruralité qui modèle le monde et le consumérisme, en précisant que « votre labeur fera votre beurre« . Dans son versant plus intime, elle s’intéresse au corps, à la maladie qu’elle a subi, au sexe, au genre, « Les femmes servent à manger / Les hommes servent à boire« . Le tout est exprimé dans une métrique maîtrisée pour expliquer ce qui l’a faite bifurquer vers la direction d’une association artistique.
Les Éditions du Commun [Rennes] ont porté son texte dans un joli petit livre, avec une belle mise en page.
Cette surprenante lecture poétique du monde agricole contemporain dans sa version productiviste est rare, peut-être inédite. Un énergique texte militant à ne pas manquer !
Mais quelle idée ont-ils eu d'aller à la messe ce dimanche matin ? Surtout le professeur Sergio Bruzzone qui, un instant après avoir reçu l'hostie tombe raide mort. Or, le professeur souffrant d'une intolérance au gluten achetait lui-même ses hosties dans la pharmacie locale et les apportait au prêtre qui les gardait dans la sacristie. Comment se peut-il que l'hostie ait été empoisonnée ? D'autant que n'assitaient à l'office dans cette petite église de Gênes qu'une assistance réduite de membres d'un club de lecture de romans policiers. Qui a empoisonné l'hostie, quand et comment ?
Un casse-tête pour l’enquêteur, el vice-préfet Paolo Nigra. Surtout que dans ce petit club de lecture, on ne lit que des polars, et que chacun va avoir son idée sur le crime. Surtout que comme le professeur n'était pas positivement apprécié des membres du club, toujours prêt à dire des méchancetés, on peut penser à un crime collectif, qui supposerait une organisation....
Mais il n'y a pas que l’intrigue policière dans ce huit clos, il y a la truculence des personnages.
Paolo Nigra est un homosexuel notoire amoureux de Rocco, un acteur qui tient le rôle du commissaire Scognamiglio dans une série télévisée. Or Rocco ne peut faire son coming-out sans ruiner l'image du flic séducteur, coureur de jupons. Paolo Nigra et Rocco ne peuvent se voir à Gênes, sont obligés d'aller dans une autre ville ou à l'étranger. L'assistante Marta Santamaria qui fume la pie et se montre parfois bien curieuse. Le substitut du procureur Evangelisti qui ne cesse de se séparer de son amie Sarah, Ahmed, le tenancier musulman du bar où se réunit le club de lecture...
le couple d'auteurs, Antonio Paolacci et Paola Roncon multiplie les pistes et les personnages, tous plus mesquins les uns que les autres. Ils décrivent un quartier de gênes où l'on est couramment homophobe, racistes, où règne le crime organisé et la mafia. Avec humour, ils écrivent un roman apparemment léger et distrayant, mais qui est noir.
On admirera le calme de Paolo Nigra qui ira au bout de cette enquête menée à la manière d'Hercule Poirot.
1986. Un homme, Mimo vit dans une abbaye, reclus depuis quarante ans. Il se remémore sa vie, son chef-d’œuvre et sa relation avec Viola, née la même année que lui, en 1904. Lui est un homme de petite taille, issu d'une famille pauvre, qu'on a envoyé chez un oncle alcoolique apprendre le métier de tailleur de pierre. Elle est d'une famille bourgeoise et cultivée. Ils se rencontrent parce que la famille Orsini a passé une commande importante à son oncle. Ils ont les mêmes idéaux, les mêmes goûts, ils deviennent amis pour la vie. Ils seront parfois amoureux, parfois rivaux. Ils se nommeront "jumeaux cosmiques".
Maltraité et exploité par l'oncle, Mimo a cependant appris la taille et est devenu un vrai artiste très renommé. Sa vie et son art sont enrichis par la relation avec Viola, qui lui apprend à se comporter en société, qui lui prête des livres d'art. Elle n'est pas pour rien dans cette fabuleuse statue que Momo a sculptée, tellement troublante que le Vatican a décidé de la soustraire eu yeux du monde.
Selon les coutumes de son monde, Viola se marie à quelqu'un qui lui est imposé. Suite à une chute vertigineuse, elle ne pourra pas avoir d'enfants. Sa relation avec Mimo n'en devient que plus forte.
Avec Mimo, nous traversons la première moitié du 20e siècle. Dans l'Italie pauvre qui subit la montée du fascisme et avec les deux guerres mondiales en toile de fond.
Tout au long du livre, on voit Mimo sortir de l'enfance, grandir, réfléchir sur sa vie.
Jean-Baptiste Andréa nous livre sa conception de la sculpture avec les mots de Mimo : "Sculpter, c’est très simple. C’est juste enlever des couches d’histoires, d’anecdotes, celles qui sont inutiles, jusqu’à atteindre l’histoire qui nous concerne tous (…) Et c’est là qu’il faut arrêter de frapper".
Conteur exceptionnel, Jean-Baptiste Andréa envoûte son lecteur avec ce long texte romanesque, cette histoire bouleversante et émouvante.
En 2224, la civilisation fossile s'est effondrée depuis plusieurs années. Le réchauffement climatique a brûlé les forêts, rendu les villes invivables, décimé la population qui est passée de 9 milliards à 900 millions. Le "Grand Effondrement" a obligé les humains à vivre en autosuffisance, ménageant les ressources de la planète, pratiquant le recyclage à grande échelle. Ils ont construit des villages où l'on vit protégés du soleil devenu intense,. Ils ont créé un environnement apaisé, sans conflits et, aussi, sans passions.
Comme l’infertilité menace de faire périr leur civilisation, la Gouvernance du monde a instauré le départ des femmes de plus de cinquante ans pour permettre à leurs maris de se remarier avec une femme plus jeune et féconde. Quand elles reçoivent leur lettre de Retrait , elles partent pour le Domaine des Hautes Plaines, un endroit d'où elles ne reviendront pas, où il leur est promis d'avoir une vie de plaisirs infinis.
Dans le village vivent Rachel, son mari Keen et ses enfants Néo et Kyle. Elle vient d'avoir cinquante ans et reçoit sa lettre de retrait en même temps que deux amies, Hasna et Odette. Elles ont été élevées en sachant que cette séparation arrivera, qu'elles mettront des habits de fête pour ce grand et mystérieux départ, qu'il n'ya pas lieu d'être tristes.
Elles sont prêtes, mais comment leurs maris et enfants peuvent-ils supporter cette séparation ? Correctement, car leurs émotions sont contrôlées. Un bracelet a été implanté à tous les enfants, un BHM ( bracelet modérateur d’humeur) qui envoie des hormones qui vont calmer les angoisses, les rendre joyeux, contrôler leur santé, assurer leur croissance, leurs activités, les géolocaliser, garantir qu'hommes et femmes pourront se reproduire.
Grâce au BHM, leurs maris et enfants supporteront donc cette séparation. Le père de Rachel, qui est couturier, pourra lui faire une robe magnifique pour cette occasion.
Mais Rachel n'est pas une personne comme les autres. Sa mère était opératrice médicale et implantait les BHM. Le sien a été trafiqué pour que sa lucidité ne soit pas affectée par les injections d'hormones. Elle va partir en se doutant que le Domaine des Hautes Plaines n'est pas ce qu'on croit être.
Au même moment, trois fillettes sont découvertes assassinées. Ce monde n'est donc pas idéal...
Le roman met en lumière l'injustice énorme qui permet aux hommes de pouvoir procréer jusqu'à la fin de leurs jours, alors que les femmes doivent renoncer à enfanter dès la cinquantaine. Elles sont sacrifiées pour maintenir la démographie, comme d'habitude, peut-on dire.
Mais ce roman n'est pas que féministe. Il décrit l'avenir d'un monde où les problèmes seraient résolus par une instance contrôlant la vie du monde et par une solution technologique.
Sophie Loubière nous offre un roman dense, écrit avec subtilité qui est autant une merveilleuse fiction qu'un texte qui ouvre des pistes de réflexion.
Précieux.