Un simple trait, une ligne de peinture blanche tracée la nuit à l'abri des regards et des indiscrets par un jeune intérimaire encadré de militaires armés. C'est étonnant et suspect. Le ton est donné et le lecteur avance et pénètre lentement au cœur d'une bourgade apparemment tranquille soudainement pulvérisée d'un seul trait. Les silences se font plus rares et les rancœurs s'invitent, les vieilles haines réapparaissent, la peur monte et les colères s'enflamment. "La ligne "est un roman aussi noir que politique, trouble et confondant, témoignant d'un mélange de colères, de frustrations et d'une autorité absolue sans altruisme. Prodigieux!

"Reste" est un roman hors norme, intriguant, suscitant perplexité et une possible appréhension quant au sujet traité. Comment faire lorsque l'amant décède brutalement? Comment envisager cette soudaine solitude et ne pas tenter de fuir, à vouloir s'absorber dans le silence et la douleur, à s'imprégner des dernières odeurs, des dernières caresses? Un amour passionnel, une forme de désir dévorante ne sont soudainement plus. La jalousie s'invite au cœur de l'infidélité, une possessivité inouïe s'empare de la femme aimante, une forme de folie amoureuse pernicieuse et tragique. Le lecteur est secoué, troublé, interrogatif sur l'amour ultime et prégnant.

Grégoire Delacourt a ce talent inégalable et cette délicatesse singulière pour évoquer l'amour, vous emporter le temps d'une nuit, particulière, dans un tourbillon de gestes et de mots, une valse presque silencieuse de fragilités et de beautés mêlées. C'est beau, c'est tragique. Cela donne envie d'aimer, d'être aimé, de continuer à aimer lorsque la vie et la mort se rejoignent et s'entremêlent.

Ce roman nous transporte dans un monde que nous pensions connaître en tant qu'usager et qui nous est finalement totalement inconnu et étranger. On pensait tout savoir à l'idée simple de monter dans un train, sans trop se poser de questions et on se rend compte (avec bonheur) que l'on ne sait rien et qu'il ne suffit pas d'appuyer sur un bouton confortablement assis dans une cabine pour engager un train sur les rails. "Mécano" révèle au contraire l'inconfort du métier, les difficultés, les connaissances et le savoir technique incroyables à assimiler, la fatigue tenace et persistante comme un second corps à porter. La fatigue en tête-à-tête accompagne le mécano le temps d'un voyage, d'un trajet, partenaire de sa solitude tandis que les voyageurs somnolent en toute sérénité. Sous la plume sublime, juste et malicieuse de Mattia Filice, le mécano est un homme à part entière, il fait corps avec la machine, profondément seul malgré les centaines de passagers derrière lui, avec à portée de main les indispensables outils pour toute réparation d'urgence. En tension, à l'affût de la moindre anomalie, le cerveau exercé à tout détecter, le mécano conduit aussi le lecteur dans un récit haletant, cocasse, tragique, absurde, émouvant, au cœur des luttes sociales et internes. Au rythme du train, les mots sont ajustés et se dévoilent, dans une narration sensible, singulière, profonde et sincère. Foncez et ne ratez surtout pas ce premier roman!

C'est une fable magistrale et saisissante d'une puissance romanesque intense, aussi ténébreuse que troublante. C'est l'évocation pénétrante d'un pouvoir totalitaire en déclin, d'un déchaînement illimité de haines et de crispations religieuses et d'un désir de vengeances et de violences inassouvi. Tragédie antique ou étonnante incarnation fictive de nos sociétés contemporaines? Philippe Claudel ne cesse avec talent d'interroger l'obscurité, les cruautés et les pulsions de l'âme humaine avec des personnages forts, opiniâtres, désespérément humains.