L’orgasme lesbien
« La fille verticale » incarne un amour insaisissable et mystérieux, symbole d’un rêve évanescent. Elle s’éloigne dès qu’on tente de l’approcher de trop près. Libre et sauvage, elle reste une vision fugitive difficile à ancrer dans la réalité. Elle pourrait être une illusion, un désir inaccessible, flottant entre rêve et vent.
La narratrice décrit les tourments liés à cette relation toxique et déstabilisante, frôlant la folie, et montre comment l’amour peut s’envoler vers quelqu’un qui ne vous aime pas.
L’écriture, riche en idées, souffre cependant des faiblesses d’un style disparate et trop larmoyant.
Surprenant et cru.
« J’aimerais qu’on puisse nettoyer mon âme comme on nettoie la poissonnerie Dejean. Deux hommes en tablier bleu, balai bleu, y jetteraient des glaçons pour décrasser de flotte les odeurs de mon existence »
« Elle crachait sur moi et mes bons sentiments ; mes humeurs et mes drames intérieurs n’atteignaient pas plus l’humidité de son corps que son cœur. »
Spectatrice des autres
Dans un corps faible et incapable, l’auteur livre un récit court et poignant sur son expérience en tant que travailleuse du sexe. Dès l’âge de 21 ans, elle se retrouve acculée à la prostitution en raison de ses maux invisibles aux yeux des autres, de sa précarité et de l’indifférence de ses parents.
Avec une plume directe et percutante, nature et fluide à la lecture ; Déborah Coste nous plonge dans l’envers du décor de manière saisissante. Elle s’attache à rétablir la vérité, à dénoncer l’image enjolivée de la « puterie », et à en dévoiler la réalité crue. Elle aborde sans détour des sujets sensibles tels que le rapport à l’argent, l’inconfort, les craintes et les désagréments d’un métier qui traverse tous les milieux sociaux et évite les débordements.
Ce récit constitue pour l’auteure un processus libérateur des mots et de l’écriture donnant un sens à sa vie.
« J’ai grandi dans un monde où les hommes s’allient pour détruire les femmes, alors j’ai appris à me taire »
« Pour raconter mon corps, il faut parler des maladies, de mes intestins et de mon ventre, de mes douleurs, de mes angoisses et de ma honte. »
« Dire que je suis travailleuse du sexe me dessine un corps »
« J’ai été abandonnée. C’est l’État qui m’a violée. Comme c’est lui aussi qui fait passer les lois mortifères stigmatisant les prostituées, lui qui nous met en danger et ne nous protège jamais. »
« Je ne suis pas réellement vivante, je suis plutôt du côté de la mort. »
La robe noire
Noir d’Os est le premier récit autobiographique de Belle Hooks, militante américaine décédée en Mars 2024 à l’âge de 69 ans, connue pour son engagement contre le racisme, la pauvreté et la violence.
Ce récit est une rébellion d’enfance, couvrant la période entre la petite enfance et le début de l’âge adulte. Une enfance marquée par la pauvreté à la campagne, imprégnée des valeurs familiales, des rituels ancestraux, des tabous, et de la culture noire du Sud.
Avec finesse, la narratrice partage ses découvertes et ses expériences en tant qu’»enfant triste qui lit des livres » « Heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés ». Elle évoque sa relation maternelle passionnée, son sentiment de marginalité et de solitude qu’elle ressent face aux discriminations et à la violence.
Ce court roman, rythmé par de brefs chapitres, dévoile l’intimité d’une jeune fille noire qui se forge une identité malgré le poids des traditions et la difficulté d’affirmer sa personnalité dans une si grande promiscuité familiale.
L’intelligence d’une enfant sauvée de l’abîme par l’écriture…. Un sujet puissant à lire d’une traite.
« J’appartiens à cet espace de mots. La voilà, ma maison. Cette grotte intérieure, cette grotte noir d’os depuis laquelle je suis en train de créer un monde où j’aurai ma place. »
« Quand on me dit que je dois grandir, jeter mes tenues de cow-girl, abandonner mon pistolet, rendre mes bottes, je fais appel à la petite boîte noire. »
« Nous les regardons s’enfoncer dans la boisson comme dans un matelas de plumes, comme dans l’eau propre et claire d’un lac. »
« Aller à l’école des blancs, c’est renier une partie de soi-même. »
Des fringues à trier
Premier roman audacieux et grivois, le récit d’une femme en colère, « saoulée », décidant d’éliminer tout homme ne serait pas à la hauteur, prenant une revanche mordante contre la domination masculine et les agressions sexistes. ….
Le ton est acerbe, offrant un texte engagé et enragé majoré par l’utilisation du tutoiement.
Féministe, provocateur et dérangeant, ce livre ne laisse pas indifférent. Il se distingue par son impartialité tranchante, flirtant parfois avec la malveillance et le lubrique. Les descriptions explicites des passages sexuels et meurtriers renforcent l’image d’une héroïne psychopathe et antipathique, prête à en découdre, sans chercher ni la modération ni compromis, mais visant à impressionner et interpeller.
En parallèle, le lecteur suit le parcours de Mat, un enquêteur se rapprochant de la vérité de ces crimes, ajoutant une curiosité au dénouement.
Roman audacieux, imaginatif et explosif, en l’absence délibérée de sentiments.
« Tu te dis que sûrement, ce mec s’exprime en métaphores mécaniques. Sa queue est un engin, donc. Il va te bourrer façon bolide… »
« C’est un tas de détritus qui recouvre une immense mare de sang, laquelle imbibe la moquette bleu foncé, auréole noirâtre dont le centre semble être le bas-ventre de l’homme nu allongé au sol… »
Taïmoucha
De 1990 à 2018.
Ce récit s’ouvre sur un poignant monologue intérieur d’Aube, une jeune femme marquée à jamais par la guerre civile en Algérie. A l’âge de 5 ans, elle a été mutilée et rendue muette lors d’un conflit sanglant opposant extrémistes et militaires, qui dura une décennie. Elle s’adresse à son enfant, lui confiant le fardeau d’une écrasante culpabilité liée à la mort de sa sœur parmi le millier de cadavres laissés par cette guerre. Aube revit sans cesse cette scène tragique.
D’une intensité bouleversante, ces trois récits de victimes sur trois décennies, sont les témoignages déchirants des victimes, seuls vestiges de la violence qui a décimé des familles entières. C’est l’histoire de vies brisées luttant inlassablement pour continuer à vivre malgré des traumatismes indélébiles. C’est aussi le récit d’une condition féminine qui cherche désespérément à prendre la parole dans un monde qui les méprise.
Une ode poignante à ceux qui ont tout perdu, frôlé la mort avant de sombrer dans l’oubli, recouverts d’un voile de silence. Un hommage magnifique à l’amour inébranlable d’une fratrie.
L’écriture, poétique, précise et remarquable se mérite….
« Les égorgeurs sont repartis avant l’aube alors que l’on grelottait, mortes ou vives, ma sœur et moi, chacune les paupières fermées sur sa vie »
« Je me suis trompée des milliers de fois en revivant cette scène et en l’altérant sans m’en rendre compte. Car j’avais tué le temps en moi, son écoulement »
« Ma fille, je ne pleure pas…. J’ai fermé les yeux et depuis je suis aveugle à l’éclat du monde. »
« … Je suis son fleuve de vin, de lait et de miel ; son cheval de fatigue … sa peau transparente, sa chevelure rousse qui plonge dans le domaine des dieux. Rien n’atteint aussi profondément mon corps vivant. »